Auteur: West Africa Network for Peacebuilding (WANEP)
Les conséquences de l’insécurité au Sahel, plus particulièrement au Niger, affectent de façon dramatique la vie des populations civiles, y compris leur moyens de subsistance et leur accès aux services sociaux de base. La cohésion sociale du pays est mise en péril tandis que les besoins humanitaires et de protection s’aggravent. Dans ce contexte, il est essentiel que le gouvernement nigérien crée et renforce des structures et mécanismes visant à renforcer la collaboration civil-militaire et accroît le dialogue avec les communautés touchées par les conflits.
Face à la degradation de la situation sécuritaire dans la region de Diffa, sud est du Niger, une proclamation de l’état d’urgence a été émise pour la première fois en Février 2015. Cette mesure prise par le gouvernement nigérien donnait aux autorités administratives et aux Forces de Défense et de Sécurité déployées dans la zone, des pouvoirs élargis afin de protéger la population civile et de garantir l’intégrité du territoire contre la menace terroriste. En somme, il s’agissait pour les autorités nigériennes d’améliorer la réponse aux attaques terroristes persistantes de Boko Haram, « un groupe terroriste » actif dans le bassin du Lac Tchad.
Dans le même temps, la montée en puissance des « groupes terroristes » (les branches locales d’Al-Qaeda et de l’État islamique) au Mali voisin a entrainé une dégradation de la situation sécuritaire dans l’ouest du Niger. Les effets de cette autre crise sécuritaire, tels que les trafics d’armes et d’êtres humains, le banditisme, et le terrorisme, ont conduit le Gouvernement à proclamer l’état d’urgence dans les départements de Tassara et Tilia (Tahoua région) en mars 2017 avant de l’étendre en décembre 2018 aux départements de Tillabéri, Gothèye, Ouallam, Ayorou, Bankilaré, Abala, Banibangou, Say, Torodi et Téra (Tillabéri région).
Les attaques des groupes armés et les opérations militaires dans les zones citées ne sont pas sans conséquences sur les populations civiles. Initialement, les attaques « terroristes » visaient principalement les positions militaires. Progressivement, les excursions des militants « terroristes » et des bandits ont commencé à cibler personnes civiles avec l’enlèvements de 39 femmes et filles à Nguelewa (Diffa) le 02 juillet 2017 ainsi que des tueries et enlèvement des autorités administratives et coutumières locales, des commerçants, de leurs familles et proches contre paiement de rançon.
La réponse sécuritaire des Forces Armées affecte également les civils qui se retrouvent pris entre deux feux. A titre d’exemple, au cours des mois de mars et avril 2020, des allégations ont fait état d’exécutions sommaires de 102 personnes civiles dans la zone d’Inatès et d’Ayorou (Tillabéri). Celles-ci seraient attribuées à certains éléments « incontrôlés » des forces armées nigériennes. Toutefois, une source proche de la justice nigérienne précise (au terme de l’enquête ouverte à cet effet): «aucun indice concordant n’a été relevé permettant sans risque de se tromper d’attribuer de façon péremptoire, la responsabilité d’exactions ou d’exécutions sommaires de 102 personnes, si exécutions sommaires il y a eu, aux éléments des forces armées Nigériennes.»
L’aggravation de la situation sécuritaire nécessite une collaboration civilo-militaire à travers notamment la création d’espaces « protégés » de dialogues périodiques entre populations civiles et Forces de Défense et de Sécurité afin de restaurer un climat de confiance dans les régions tout en évitant que les civils soient exposés à des représailles. Dans le même temps, des comités locaux de vigilance et de Veille citoyenne devraient être crées at/or renforcés afin de sensibiliser les populations sur des thématiques en lien avec la prévention de l’extrémisme violent, la consolidation de la paix et la cohésion intercommunautaire.
D’autres cas démontrent que la multiplication des forces armées et des opérations militaires et de sécurité dans les zones en conflit représente un risque majeur pour les civils. Face à ce risque, les interventions militaires doivent prendre en compte la présence et les besoins des civils et les protéger. Entre la fin Mars et début Avril 2021, des cas de viols sur une fille de 11 ans et deux femmes mariées, dont une enceinte, ont été signalés à Téra, non loin d’une position de la Force Conjointe du G5 Sahel. Pour ces deux femmes, ces actes odieux ont été commis en présence de leurs maris sous menace d’arme à feu par les agresseurs. Cinq autres femmes ayant fait l’objet de tentative de viol ont réussi à s’enfuir. Des éléments du 8ème bataillon de la Force Conjointe du G5 Sahel déployés dans la zone des trois frontières auraient été identifiés comme présumés auteurs de ces bavures. À ce propos, dans un communiqué officiel du 3 Avril 2021, le Ministre tchadien des Affaires Étrangères a reconnu les faits de viol et d’abus sexuels perpétrés par certains soldats du 8ème bataillon du contingent tchadien basé à Téra. Le ministre a assuré que les auteurs avaient été identifiés, arrêtés et qu’ils seraient sanctionner. La réponse rapide et forte de la Force Conjointe du G5 Sahel ainsi que celle du Gouvernement du Tchad et du Niger, probablement les premières du genre dans ce contexte, doivent être reconnues et appréciées. Face à une telle situation, des mesures supplémentaires restent nécessaires telles que la création de centres d’expertise pour soutenir les victimes des violences sexuelles liées aux conflits.
Dans un autre incident relayé dans un communiqué du Ministre Nigérien de l’Intérieur en date du 27 novembre 2021, deux personnes civiles ont été tuées et 18 autres blessées à Téra à la suite des manifestations locales contre un convoi de la force française Barkhane. Le communiqué dit que « dans sa tentative de se dégager, elle a fait usage de la force, malheureusement on déplore la mort de deux personnes et dix-huit blessées dont onze graves.» Une telle déclaration suscite une interrogation majeure: qui au sein de la gendarmerie nationale du Niger, escortée par le convoi ou de l’armée française, a ouvert le feu sur des jeunes gens sans défense? Selon une source à l’ambassade de France au Niger, on dénombre également sept blessés dans les rangs des militaires et civils français qui font partie du convoi. Une enquête a été ouverte afin de déterminer les circonstances exactes de cette tragédie et d’attribuer les responsabilités. La situation sécuritaire à Téra requiert en urgence une communication claire, proactive et réactive de l’état nigérien envers les communautés, notamment autour de la presence et l’importance des bases militaires étrangères au Niger. Il s’agit ainsi de créer des espaces communautaires associant autorités coutumières et administratives, les femmes, les hommes et les jeunes pour les engager sur les enjeux sécuritaires de leurs localités respectives.
Dans le même temps, des initiatives locales de développement devraient être mises en œuvre afin promouvoir la résilience des communautés dans ces zones (activités génératrices de revenus pour les femmes et récupération des terres pour les jeunes).
Nombreux sont les civils au Niger qui vivent quotidiennement sous menaces sécuritaires. Il est l’heure de passer à l’action pour mieux prendre en compte leur présence, leurs perspectives et répondre à leurs besoins.